À
Ernest Christophe, statuaire.
STATUE
ALLÉGORIQUE DANS LE GOÛT DE LA RENAISSANCE
Contemplons ce
trésor de grâces florentines;
Dans l'ondulation de
ce corps musculeux
L'élégance et la
force abondent, sœurs divines.
Cette femme, morceau
vraiment miraculeux,
Divinement robuste,
adorablement mince,
Est faite pour
trôner sur des lits somptueux,
Et charmer les
loisirs d'un pontife ou d'un prince.
– Aussi, vois
ce souris fin et voluptueux
Où la fatuité
promène son extase;
Ce long regard
sournois, langoureux et moqueur;
Ce visage mignard,
tout encadré de gaze,
Dont chaque trait
nous dit avec un air vainqueur:
"La volupté
m'appelle et l'amour me couronne!"
À cet être doué de
tant de majesté
Vois quel charme
excitant la gentillesse donne!
Approchons, et
tournons autour de sa beauté.
Ô blasphème de
l'art! Ô surprise fatale!
La femme au corps
divin, promettant le bonheur,
Par le haut se
termine en monstre bicéphale!
Mais non! Ce n'est
qu'un masque, un décor suborneur,
Ce visage éclairé
d'une exquise grimace,
Et, regarde, voici,
crispée atrocement,
La véritable tête,
et la sincère face
Renversée à l'abri
de la face qui ment.
Pauvre grande
beauté! Le magnifique fleuve
De tes pleurs
aboutit dans mon cœur soucieux;
Ton mensonge m'enivre,
et mon âme s'abreuve
Aux flots que la
douleur fait jaillir de tes yeux!
– Mais pourquoi
pleure-t-elle? Elle, beauté parfaite
Qui mettrait à ses
pieds le genre humain vaincu,
Quel mal mystérieux
ronge son flanc d'athlète?
– Elle pleure,
insensé, parce qu'elle a vécu!
Et parce qu'elle
vit! Mais ce qu'elle déplore
Surtout, ce qui la
fait frémir jusqu'aux genoux,
C'est que demain,
hélas! Il faudra vivre encore!
Demain, après-demain
et toujours! – comme nous!
русский
XXI
HYMNE À LA BEAUTÉ
Viens-tu du ciel
profond ou sors-tu de l'abîme,
Ô beauté? Ton
regard, infernal et divin,
Verse confusément le
bienfait et le crime,
Et l'on peut pour
cela te comparer au vin.
Tu contiens dans ton
œil le couchant et l'aurore;
Tu répands des
parfums comme un soir orageux;
Tes baisers sont un
philtre et ta bouche une amphore
Qui font le héros
lâche et l'enfant courageux.
Sors-tu du gouffre
noir ou descends-tu des astres?
Le destin charmé
suit tes jupons comme un chien;
Tu sèmes au hasard
la joie et les désastres,
Et tu gouvernes tout
et ne réponds de rien.
Tu marches sur des
morts, beauté, dont tu te moques;
De tes bijoux
l'horreur n'est pas le moins charmant,
Et le meurtre, parmi
tes plus chères breloques,
Sur ton ventre
orgueilleux danse amoureusement.
L'éphémère ébloui
vole vers toi, chandelle,
Crépite, flambe et
dit: bénissons ce flambeau!
L'amoureux pantelant
incliné sur sa belle
A l'air d'un
moribond caressant son tombeau.
Que tu viennes du
ciel ou de l'enfer, qu'importe,
Ô beauté! Monstre
énorme, effrayant, ingénu!
Si ton œil, ton
souris, ton pied, m'ouvrent la porte
D'un infini que
j'aime et n'ai jamais connu?
De Satan ou de Dieu,
qu'importe? Ange ou sirène,
Qu'importe, si tu
rends, – fée aux yeux de velours,
Rythme, parfum,
lueur, ô mon unique reine! -
L'univers moins
hideux et les instants moins lourds?
русский
XXII
PARFUM EXOTIQUE
Quand, les deux yeux
fermés, en un soir chaud d'automne,
Je respire l'odeur
de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler
des rivages heureux
Qu'éblouissent les
feux d'un soleil monotone;
Une île paresseuse
où la nature donne
Des arbres
singuliers et des fruits savoureux;
Des hommes dont le
corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont
œil par sa franchise étonne.
Guidé par ton odeur
vers de charmants climats,
Je vois un port
rempli de voiles et de mâts
Encor tout fatigués
par la vague marine,
Pendant que le
parfum des verts tamariniers,
Qui circule dans
l'air et m'enfle la narine,
Se mêle dans mon âme
au chant des mariniers.
русский
XXIII
LA CHEVELURE
Ô toison, moutonnant
jusque sur l'encolure!
Ô boucles! Ô parfum
chargé de nonchaloir!
Extase! Pour peupler
ce soir l'alcôve obscure
Des souvenirs
dormants dans cette chevelure,
Je la veux agiter
dans l'air comme un mouchoir!
La langoureuse Asie
et la brûlante Afrique,
Tout un monde
lointain, absent, presque défunt,
Vit dans tes
profondeurs, forêt aromatique!
Comme d'autres
esprits voguent sur la musique,
Le mien, ô mon
amour! Nage sur ton parfum.
J'irai là-bas où
l'arbre et l'homme, pleins de sève,
Se pâment longuement
sous l'ardeur des climats;
Fortes tresses,
soyez la houle qui m'enlève!
Tu contiens, mer
d'ébène, un éblouissant rêve
De voiles, de
rameurs, de flammes et de mâts:
Un port retentissant
où mon âme peut boire
À grands flots le
parfum, le son et la couleur;
Où les vaisseaux,
glissant dans l'or et dans la moire,
Ouvrent leurs vastes
bras pour embrasser la gloire
D'un ciel pur où
frémit l'éternelle chaleur.
Je plongerai ma tête
amoureuse d'ivresse
Dans ce noir océan
où l'autre est enfermé;
Et mon esprit subtil
que le roulis caresse
Saura vous
retrouver, ô féconde paresse!
Infinis bercements
du loisir embaumé!
Cheveux bleus,
pavillon de ténèbres tendues,
Vous me rendez
l'azur du ciel immense et rond;
Sur les bords
duvetés de vos mèches tordues
Je m'enivre
ardemment des senteurs confondues
De l'huile de coco,
du musc et du goudron.
Longtemps! Toujours!
Ma main dans ta crinière lourde
Sèmera le rubis, la
perle et le saphir,
Afin qu'à mon désir
tu ne sois jamais sourde!
N'es-tu pas l'oasis
où je rêve, et la gourde
Où je hume à longs
traits le vin du souvenir?
русский
XXIV
Je t'adore à l'égal
de la voûte nocturne,
Ô vase de tristesse,
ô grande taciturne,
Et t'aime d'autant
plus, belle, que tu me fuis,
Et que tu me parais,
ornement de mes nuits,
Plus ironiquement
accumuler les lieues
Qui séparent mes
bras des immensités bleues.
Je m'avance à
l'attaque, et je grimpe aux assauts,
Comme après un
cadavre un choeur de vermisseaux,
Et je chéris, ô bête
implacable et cruelle!
Jusqu'à cette
froideur par où tu m'es plus belle!
русский
XXV
Tu mettrais
l'univers entier dans ta ruelle,
Femme impure!
L'ennui rend ton âme cruelle.
Pour exercer tes
dents à ce jeu singulier,
Il te faut chaque
jour un cœur au râtelier.
Tes yeux, illuminés
ainsi que des boutiques
Et des ifs flamboyants
dans les fêtes publiques,
Usent insolemment
d'un pouvoir emprunté,
Sans connaître
jamais la loi de leur beauté.
Machine aveugle et
sourde, en cruautés féconde!
Salutaire
instrument, buveur du sang du monde,
Comment n'as-tu pas
honte et comment n'as-tu pas
Devant tous les
miroirs vu pâlir tes appas?
La grandeur de ce
mal où tu te crois savante
Ne t'a donc jamais
fait reculer d'épouvante,
Quand la nature,
grande en ses desseins cachés,
De toi se sert, ô
femme, ô reine des péchés,
– De toi, vil
animal, – pour pétrir un génie?
Ô fangeuse grandeur!
Sublime ignominie!
русский
XXVI
SED NON SATIATA
Bizarre déité, brune
comme les nuits,
Au parfum mélangé de
musc et de havane,
Œuvre de quelque
obi, le Faust de la savane,
Sorcière au flanc
d'ébène, enfant des noirs minuits,
Je préfère au
constance, à l'opium, au nuits,
L'élixir de ta
bouche où l'amour se pavane;
Quand vers toi mes
désirs partent en caravane,
Tes yeux sont la
citerne où boivent mes ennuis.
Par ces deux grands
yeux noirs, soupiraux de ton âme,
Ô démon sans pitié!
Verse-moi moins de flamme;
Je ne suis pas le
Styx pour t'embrasser neuf fois,
Hélas! Et je ne
puis, mégère libertine,
Pour briser ton
courage et te mettre aux abois,
Dans l'enfer de ton
lit devenir Proserpine!
русский
XXVII
Avec ses vêtements
ondoyants et nacrés,
Même quand elle
marche on croirait qu'elle danse,
Comme ces longs
serpents que les jongleurs sacrés
Au bout de leurs
bâtons agitent en cadence.
Comme le sable morne
et l'azur des déserts,
Insensibles tous
deux à l'humaine souffrance,
Comme les longs
réseaux de la houle des mers,
Elle se développe
avec indifférence.
Ses yeux polis sont
faits de minéraux charmants,
Et dans cette nature
étrange et symbolique
Où l'ange inviolé se
mêle au sphinx antique,
Où tout n'est qu'or,
acier, lumière et diamants,
Resplendit à jamais,
comme un astre inutile,
La froide majesté de
la femme stérile.
русский
XXVIII
LE SERPENT QUI DANSE
Que j'aime voir,
chère indolente,
De ton corps si
beau,
Comme une étoffe
vacillante,
Miroiter la peau!
Sur ta chevelure
profonde
Aux âcres parfums,
Mer odorante et
vagabonde
Aux flots bleus et
bruns,
Comme un navire qui
s'éveille
Au vent du matin,
Mon âme rêveuse
appareille
Pour un ciel
lointain.
Tes yeux, où rien ne
se révèle
De doux ni d'amer,
Sont deux bijoux
froids où se mêle
L'or avec le fer.
À te voir marcher en
cadence,
Belle d'abandon,
On dirait un serpent
qui danse
Au bout d'un
bâton.
Sous le fardeau de
ta paresse
Ta tête d'enfant
Se balance avec la
mollesse
D'un jeune éléphant,
Et ton corps se
penche et s'allonge
Comme un fin
vaisseau
Qui roule bord sur
bord et plonge
Ses vergues dans
l'eau.
Comme un flot grossi
par la fonte
Des glaciers
grondants,
Quand l'eau de ta
bouche remonte
Au bord de tes
dents,
Je crois boire un
vin de Bohême,
Amer et vainqueur,
Un ciel liquide qui
parsème
D'étoiles mon
cœur!
русский
XXIX
UNE CHAROGNE
Rappelez-vous
l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin
d'été si doux:
Au détour d'un
sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de
cailloux,
Les jambes en l'air,
comme une femme lubrique,
Brûlante et suant
les poisons,
Ouvrait d'une façon
nonchalante et cynique
Son ventre plein
d'exhalaisons.
Le soleil rayonnait
sur cette pourriture,
Comme afin de la
cuire à point,
Et de rendre au
centuple à la grande nature
Tout ce
qu'ensemble elle avait joint;
Et le ciel regardait
la carcasse superbe
Comme une fleur
s'épanouir.
La puanteur était si
forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous
évanouir.
Les mouches
bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de
noirs bataillons
De larves, qui
coulaient comme un épais liquide
Le long de ces
vivants haillons.
Tout cela
descendait, montait comme une vague,
Ou s'élançait en
pétillant;
On eût dit que le
corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se
multipliant.
Et ce monde rendait
une étrange musique,
Comme l'eau
courante et le vent,
Ou le grain qu'un
vanneur d'un mouvement rythmique
Agite et tourne
dans son van.
Les formes
s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
Une ébauche lente
à venir,
Sur la toile
oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le
souvenir.
Derrière les rochers
une chienne inquiète
Nous regardait
d'un œil fâché,
Épiant le moment de
reprendre au squelette
Le morceau qu'elle
avait lâché.
– Et pourtant
vous serez semblable à cette ordure,
À cette horrible
infection,
Étoile de mes yeux,
soleil de ma nature,
Vous, mon ange et
ma passion!
Oui! Telle vous
serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers
sacrements
Quand vous irez,
sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les
ossements.
Alors, ô ma beauté!
Dites à la vermine
Qui vous mangera
de baisers,
Que j'ai gardé la
forme et l'essence divine
De mes amours
décomposés!
русский
XXX
DE PROFUNDIS CLAMAVI
J'implore ta pitié,
toi, l'unique que j'aime,
Du fond du gouffre
obscur où mon cœur est tombé.
C'est un univers
morne à l'horizon plombé,
Où nagent dans la
nuit l'horreur et le blasphème;
Un soleil sans
chaleur plane au-dessus six mois,
Et les six autres
mois la nuit couvre la terre;
C'est un pays plus
nu que la terre polaire;
– Ni bêtes, ni
ruisseaux, ni verdure, ni bois!
Or il n'est pas
d'horreur au monde qui surpasse
La froide cruauté de
ce soleil de glace
Et cette immense
nuit semblable au vieux chaos;
Je jalouse le sort
des plus vils animaux
Qui peuvent se
plonger dans un sommeil stupide,
Tant l'écheveau du
temps lentement se dévide!
русский
XXXI
LE VAMPIRE
Toi qui, comme un
coup de couteau,
Dans mon cœur
plaintif es entrée;
Toi qui, forte comme
un troupeau
De démons, vins,
folle et parée,
De mon esprit
humilié
Faire ton lit et ton
domaine;
– Infâme à qui
je suis lié
Comme le forçat à la
chaîne,
Comme au jeu le
joueur têtu,
Comme à la bouteille
l'ivrogne,
Comme aux vermines
la charogne,
– Maudite, maudite
sois-tu!
J'ai prié le glaive
rapide
De conquérir ma
liberté,
Et j'ai dit au
poison perfide
De secourir ma
lâcheté.
Hélas! Le poison et
le glaive
M'ont pris en dédain
et m'ont dit:
"Tu n'es pas
digne qu'on t'enlève
À ton esclavage
maudit,
Imbécile! – de
son empire
Si nos efforts te
délivraient,
Tes baisers
ressusciteraient
Le cadavre de ton
vampire!"
русский
XXXII
Une nuit que j'étais
près d'une affreuse Juive,
Comme au long d'un
cadavre un cadavre étendu,
Je me pris à songer
près de ce corps vendu
À la triste beauté
dont mon désir se prive.
Je me représentais
sa majesté native,
Son regard de
vigueur et de grâces armé,
Ses cheveux qui lui
font un casque parfumé,
Et dont le souvenir
pour l'amour me ravive.
Car j'eusse avec
ferveur baisé ton noble corps,
Et depuis tes pieds
frais jusqu'à tes noires tresses,
Déroulé le trésor
des profondes caresses,
Si, quelque soir,
d'un pleur obtenu sans effort
Tu pouvais
seulement, ô reine des cruelles!
Obscurcir la
splendeur de tes froides prunelles.
русский
XXXIII
REMORDS POSTHUME
Lorsque tu dormiras,
ma belle ténébreuse,
Au fond d'un
monument construit en marbre noir,
Et lorsque tu
n'auras pour alcôve et manoir
Qu'un caveau
pluvieux et qu'une fosse creuse;
Quand la pierre,
opprimant ta poitrine peureuse
Et tes flancs
qu'assouplit un charmant nonchaloir,
Empêchera ton cœur
de battre et de vouloir,
Et tes pieds de
courir leur course aventureuse,
Le tombeau,
confident de mon rêve infini
(Car le tombeau
toujours comprendra le poète),
Durant ces grandes
nuits d'où le somme est banni,
Te dira:"Que
vous sert, courtisane imparfaite,
De n'avoir pas connu
ce que pleurent les morts?"
– Et le ver
rongera ta peau comme un remords.
русский
XXXIV
LE CHAT
Viens, mon beau
chat, sur mon cœur amoureux;
Retiens les griffes
de ta patte,
Et laisse-moi
plonger dans tes beaux yeux,
Mêlés de métal et
d'agate.
Lorsque mes doigts
caressent à loisir
Ta tête et ton dos
élastique,
Et que ma main
s'enivre du plaisir
De palper ton
corps électrique,
Je vois ma femme en
esprit. Son regard,
Comme le tien,
aimable bête,
Profond et froid,
coupe et fend comme un dard,
Et, des pieds
jusques à la tête,
Un air subtil, un
dangereux parfum,
Nagent autour de
son corps brun.
русский
XXXV
DUELLUM
Deux guerriers ont
couru l'un sur l'autre; leurs armes
Ont éclaboussé l'air
de lueurs et de sang.
Ces jeux, ces
cliquetis du fer sont les vacarmes
D'une jeunesse en
proie à l'amour vagissant.
Les glaives sont
brisés! Comme notre jeunesse,
Ma chère! Mais les
dents, les ongles acérés,
Vengent bientôt
l'épée et la dague traîtresse.
– Ô fureur des
cœurs mûrs par l'amour ulcérés!
Dans le ravin hanté
des chats-pards et des onces
Nos héros,
s'étreignant méchamment, ont roulé,
Et leur peau
fleurira l'aridité des ronces.
– Ce gouffre,
c'est l'enfer, de nos amis peuplé!
Roulons-y sans
remords, amazone inhumaine,
Afin d'éterniser
l'ardeur de notre haine!
русский
XXXVI
LE BALCON
Mère des souvenirs,
maîtresse des maîtresses,
Ô toi, tous mes
plaisirs! Ô toi, tous mes devoirs!
Tu te rappelleras la
beauté des caresses,
La douceur du foyer
et le charme des soirs,
Mère des souvenirs,
maîtresse des maîtresses!
Les soirs illuminés
par l'ardeur du charbon,
Et les soirs au
balcon, voilés de vapeurs roses.
Que ton sein m'était
doux! Que ton cœur m'était bon!
Nous avons dit
souvent d'impérissables choses
Les soirs illuminés
par l'ardeur du charbon.
Que les soleils sont
beaux dans les chaudes soirées!
Que l'espace est
profond! Que le cœur est puissant!
En me penchant vers
toi, reine des adorées,
Je croyais respirer
le parfum de ton sang.
Que les soleils sont
beaux dans les chaudes soirées!
La nuit
s'épaississait ainsi qu'une cloison,
Et mes yeux dans le
noir devinaient tes prunelles,
Et je buvais ton
souffle, ô douceur! Ô poison!
Et tes pieds
s'endormaient dans mes mains fraternelles.
La nuit
s'épaississait ainsi qu'une cloison.
Je sais l'art
d'évoquer les minutes heureuses,
Et revis mon passé
blotti dans tes genoux.
Car à quoi bon
chercher tes beautés langoureuses
Ailleurs qu'en ton
cher corps et qu'en ton cœur si doux?
Je sais l'art
d'évoquer les minutes heureuses!
Ces serments, ces
parfums, ces baisers infinis,
Renaîtront-ils d'un
gouffre interdit à nos sondes,
Comme montent au
ciel les soleils rajeunis
Après s'être lavés
au fond des mers profondes?
– Ô serments! Ô
parfums! Ô baisers infinis!
русский
XXXVII
LE POSSÉDÉ
Le soleil s'est
couvert d'un crêpe.comme lui,
Ô lune de ma vie!
Emmitoufle-toi d'ombre;
Dors ou fume à ton
gré; sois muette, sois sombre,
Et plonge tout
entière au gouffre de l'ennui;
Je t'aime ainsi!
Pourtant, si tu veux aujourd'hui,
Comme un astre
éclipsé qui sort de la pénombre,
Te pavaner aux lieux
que la folie encombre,
C'est bien! Charmant
poignard, jaillis de ton étui!
Allume ta prunelle à
la flamme des lustres!
Allume le désir dans
les regards des rustres!
Tout de toi m'est
plaisir, morbide ou pétulant;
Sois ce que tu
voudras, nuit noire, rouge aurore;
Il n'est pas une
fibre en tout mon corps tremblant
Qui ne crie: Ô mon
cher Belzébuth, je t'adore!
русский
XXXVIII
UN FANTÔME
I
LES TÉNÈBRES
Dans les caveaux
d'insondable tristesse
Où le destin m'a
déjà relégué;
Où jamais n'entre un
rayon rose et gai;
Où seul, avec la
nuit, maussade hôtesse,
Je suis comme un
peintre qu'un Dieu moqueur
Condamne à peindre,
hélas! Sur les ténèbres;
Où, cuisinier aux
appétits funèbres,
Je fais bouillir et
je mange mon cœur,
Par instants brille,
et s'allonge, et s'étale
Un spectre fait de
grâce et de splendeur.
À sa rêveuse allure
orientale,
Quand il atteint sa
totale grandeur,
Je reconnais ma belle
visiteuse:
C'est elle! Noire et
pourtant lumineuse.
II
LE PARFUM
Lecteur, as-tu
quelquefois respiré
Avec ivresse et
lente gourmandise
Ce grain d'encens
qui remplit une église,
Ou d'un sachet le
musc invétéré?
Charme profond,
magique, dont nous grise
Dans le présent le
passé restauré!
Ainsi l'amant sur un
corps adoré
Du souvenir cueille
la fleur exquise.
De ses cheveux
élastiques et lourds,
Vivant sachet,
encensoir de l'alcôve,
Une senteur montait,
sauvage et fauve,
Et des habits,
mousseline ou velours,
Tout imprégnés de sa
jeunesse pure,
Se dégageait un
parfum de fourrure.
III
LE CADRE
Comme un beau cadre
ajoute à la peinture,
Bien qu'elle soit
d'un pinceau très-vanté,
Je ne sais quoi
d'étrange et d'enchanté
En l'isolant de
l'immense nature,
Ainsi bijoux,
meubles, métaux, dorure,
S'adaptaient juste à
sa rare beauté;
Rien n'offusquait sa
parfaite clarté,
Et tout semblait lui
servir de bordure.
Même on eût dit
parfois qu'elle croyait
Que tout voulait
l'aimer; elle noyait
Sa nudité
voluptueusement
Dans les baisers du
satin et du linge,
Et, lente ou
brusque, à chaque mouvement
Montrait la grâce
enfantine du singe.
IV
LE PORTRAIT
La maladie et la
mort font des cendres
De tout le feu qui
pour nous flamboya.
De ces grands yeux
si fervents et si tendres,
De cette bouche où
mon cœur se noya,
De ces baisers
puissants comme un dictame,
De ces transports
plus vifs que des rayons,
Que reste-t-il?
C'est affreux, ô mon âme!
Rien qu'un dessin
fort pâle, aux trois crayons,
Qui, comme moi,
meurt dans la solitude,
Et que le temps,
injurieux vieillard,
Chaque jour frotte
avec son aile rude…
Noir assassin de la
vie et de l'art,
Tu ne tueras jamais
dans ma mémoire
Celle qui fut mon
plaisir et ma gloire!
русский
XXXIX
Je te donne ces vers
afin que si mon nom
Aborde heureusement
aux époques lointaines,
Et fait rêver un
soir les cervelles humaines,
Vaisseau favorisé
par un grand aquilon,
Ta mémoire, pareille
aux fables incertaines,
Fatigue le lecteur
ainsi qu'un tympanon,
Et par un fraternel
et mystique chaînon
Reste comme pendue à
mes rimes hautaines;
Être maudit à qui,
de l'abîme profond
Jusqu'au plus haut
du ciel, rien, hors moi, ne répond!
– Ô toi qui,
comme une ombre à la trace éphémère,
Foules d'un pied
léger et d'un regard serein
Les stupides mortels
qui t'ont jugée amère,
Statue aux yeux de
jais, grand ange au front d'airain!
русский
XL
SEMPER EADEM
"D'où vous
vient, disiez-vous, cette tristesse étrange
Montant comme la mer
sur le roc noir et nu?"
– Quand notre
cœur a fait une fois sa vendange,
Vivre est un mal.
C'est un secret de tous connu,
Une douleur
très-simple et non mystérieuse,
Et, comme votre
joie, éclatante pour tous.
Cessez donc de
chercher, ô belle curieuse!
Et, bien que votre
voix soit douce, taisez-vous!
Taisez-vous,
ignorante! Âme toujours ravie!
Bouche au rire
enfantin! Plus encor que la vie,
La mort nous tient
souvent par des liens subtils.
Laissez, laissez mon
cœur s'enivrer d'un mensonge,
Plonger dans vos
beaux yeux comme dans un beau songe
Et sommeiller
longtemps à l'ombre de vos cils!
русский
XLI
TOUT ENTIÈRE
Le Démon, dans ma
chambre haute,
Ce matin est venu me
voir,
Et, tâchant à me
prendre en faute,
Me dit:"Je
voudrais bien savoir,
Parmi toutes les
belles choses
Dont est fait son
enchantement,
Parmi les objets
noirs ou roses
Qui composent son
corps charmant,
Quel est le plus
doux."– Ô mon âme!
Tu répondis à
l'Abhorré:
"Puisqu'en Elle
tout est dictame,
Rien ne peut être
préféré.
Lorsque tout me
ravit, j'ignore
Si quelque chose me
séduit.
Elle éblouit comme
l'Aurore
Et console comme la
Nuit;
Et l'harmonie est
trop exquise,
Qui gouverne tout
son beau corps,
Pour que
l'impuissante analyse
En note les nombreux
accords.
Ô métamorphose
mystique
De tous mes sens
fondus en un!
Son haleine fait la
musique,
Comme sa voix fait
le parfum!"
русский
XLII
Que diras-tu ce
soir, pauvre âme solitaire,
Que diras-tu, mon
cœur, cœur autrefois flétri,
À la très-belle, à
la très-bonne, à la très-chère,
Dont le regard divin
t'a soudain refleuri?
– Nous mettrons
notre orgueil à chanter ses louanges:
Rien ne vaut la
douceur de son autorité;
Sa chair spirituelle
a le parfum des anges,
Et son œil nous
revêt d'un habit de clarté.
Que ce soit dans la
nuit et dans la solitude,
Que ce soit dans la
rue et dans la multitude,
Son fantôme dans
l'air danse comme un flambeau.
Parfois il parle et
dit:"Je suis belle, et j'ordonne
Que pour l'amour de
moi vous n'aimiez que le Beau;
Je suis l'Ange
gardien, la Muse et la Madone."
русский
XLIII
LE FLAMBEAU VIVANT
Ils marchent devant
moi, ces Yeux pleins de lumières,
Qu'un Ange
très-savant a sans doute aimantés;
Ils marchent, ces
divins frères qui sont mes frères,
Secouant dans mes
yeux leurs feux diamantés.
Me sauvant de tout
piège et de tout péché grave,
Ils conduisent mes
pas dans la route du Beau;
Ils sont mes
serviteurs et je suis leur esclave;
Tout mon être obéit
à ce vivant flambeau.
Charmants Yeux, vous
brillez de la clarté mystique
Qu'ont les cierges
brûlant en plein jour; le soleil
Rougit, mais
n'éteint pas leur flamme fantastique;
Ils célèbrent la
Mort, vous chantez le Réveil;
Vous marchez en
chantant le réveil de mon âme,
Astres dont nul
soleil ne peut flétrir la flamme!
русский
XLIV
RÉVERSIBILITÉ
Ange plein de
gaieté, connaissez-vous l'angoisse,
La honte, les
remords, les sanglots, les ennuis,
Et les vagues
terreurs de ces affreuses nuits
Qui compriment le
cœur comme un papier qu'on froisse?
Ange plein de
gaieté, connaissez-vous l'angoisse?
Ange plein de bonté,
connaissez-vous la haine,
Les poings crispés
dans l'ombre et les larmes de fiel,
Quand la Vengeance
bat son infernal rappel,
Et de nos facultés
se fait le capitaine?
Ange plein de bonté,
connaissez-vous la haine?
Ange plein de santé,
connaissez-vous les Fièvres,
Qui, le long des
grands murs de l'hospice blafard,
Comme des exilés, s'en
vont d'un pied traînard,
Cherchant le soleil
rare et remuant les lèvres?
Ange plein de santé,
connaissez-vous les Fièvres?
Ange plein de
beauté, connaissez-vous les rides,
Et la peur de
vieillir, et ce hideux tourment
De lire la secrète
horreur du dévouement
Dans des yeux où
longtemps burent nos yeux avides?
Ange plein de
beauté, connaissez-vous les rides?
Ange plein de
bonheur, de joie et de lumières,
David mourant aurait
demandé la santé
Aux émanations de
ton corps enchanté;
Mais de toi je
n'implore, ange, que tes prières,
Ange plein de
bonheur, de joie et de lumières!
русский
XLV
CONFESSION
Une fois, une seule,
aimable et douce femme,
À mon bras votre
bras poli
S'appuya (sur le
fond ténébreux de mon âme
Ce souvenir n'est
point pâli);
Il était tard; ainsi
qu'une médaille neuve
La pleine lune
s'étalait,
Et la solennité de
la nuit, comme un fleuve,
Sur Paris dormant
ruisselait.
Et le long des
maisons, sous les portes cochères,
Des chats
passaient furtivement,
L'oreille au guet,
ou bien, comme des ombres chères,
Nous
accompagnaient lentement.
Tout à coup, au
milieu de l'intimité libre
Éclose à la pâle
clarté,
De vous, riche et
sonore instrument où ne vibre
Que la radieuse
gaieté,
De vous, claire et
joyeuse ainsi qu'une fanfare
Dans le matin
étincelant,
Une note plaintive,
une note bizarre
S'échappa, tout
en chancelant,
Comme une enfant
chétive, horrible, sombre, immonde,
Dont sa famille
rougirait,
Et qu'elle aurait
longtemps, pour la cacher au monde,
Dans un caveau
mise au secret.
Pauvre ange, elle
chantait, votre note criarde:
"Que rien
ici-bas n'est certain,
Et que toujours,
avec quelque soin qu'il se farde,
Se trahit
l'égoïsme humain;
Que c'est un dur
métier que d'être belle femme,
Et que c'est le
travail banal
De la danseuse folle
et froide qui se pâme
Dans un sourire
machinal;
Que bâtir sur les
cœurs est une chose sotte;
Que tout craque,
amour et beauté,
Jusqu'à ce que
l'Oubli les jette dans sa hotte
Pour les rendre à
l'Éternité!"
J'ai souvent évoqué
cette lune enchantée,
Ce silence et
cette langueur,
Et cette confidence
horrible chuchotée
Au confessionnal
du cœur.
русский
XLVI
L'AUBE SPIRITUELLE
Quand chez les
débauchés l'aube blanche et vermeille
Entre en société de
l'Idéal rongeur,
Par l'opération d'un
mystère vengeur
Dans la brute
assoupie un ange se réveille.
Des Cieux Spirituels
l'inaccessible azur,
Pour l'homme
terrassé qui rêve encore et souffre,
S'ouvre et s'enfonce
avec l'attirance du gouffre.
Ainsi, chère Déesse,
Être Lucide et pur,
Sur les débris
fumeux des stupides orgies
Ton souvenir plus
clair, plus rose, plus charmant,
À mes yeux agrandis
voltige incessamment.
Le soleil a noirci
la flamme des bougies;
Ainsi, toujours
vainqueur, ton fantôme est pareil,
Âme resplendissante,
à l'immortel soleil!
русский
XLVII
HARMONIE DU SOIR
Voici venir les
temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur
s'évapore ainsi qu'un encensoir;
Les sons et les
parfums tournent dans l'air du soir;
Valse mélancolique
et langoureux vertige!
Chaque fleur
s'évapore ainsi qu'un encensoir;
Le violon frémit
comme un cœur qu'on afflige;
Valse mélancolique
et langoureux vertige!
Le ciel est triste
et beau comme un grand reposoir.
Le violon frémit
comme un cœur qu'on afflige,
Un cœur tendre, qui
hait le néant vaste et noir!
Le ciel est triste
et beau comme un grand reposoir;
Le soleil s'est noyé
dans son sang qui se fige.
Un cœur tendre, qui
hait le néant vaste et noir,
Du passé lumineux
recueille tout vestige!
Le soleil s'est noyé
dans son sang qui se fige…
Ton souvenir en moi
luit comme un ostensoir!
русский
XLVIII
LE FLACON
Il est de forts
parfums pour qui toute matière
Est poreuse. On
dirait qu'ils pénètrent le verre.
En ouvrant un
coffret venu de l'Orient
Dont la serrure
grince et rechigne en criant,
Ou dans une maison
déserte quelque armoire
Pleine de l'âcre
odeur des temps, poudreuse et noire,
Parfois on trouve un
vieux flacon qui se souvient,
D'où jaillit toute
vive une âme qui revient.
Mille pensers
dormaient, chrysalides funèbres,
Frémissant doucement
dans les lourdes ténèbres,
Qui dégagent leur
aile et prennent leur essor,
Teintés d'azur,
glacés de rose, lamés d'or.
Voilà le souvenir
enivrant qui voltige
Dans l'air troublé;
les yeux se ferment; le Vertige
Saisit l'âme vaincue
et la pousse à deux mains
Vers un gouffre
obscurci de miasmes humains;
Il la terrasse au
bord d'un gouffre séculaire,
Où, Lazare odorant
déchirant son suaire,
Se meut dans son
réveil le cadavre spectral
D'un vieil amour
ranci, charmant et sépulcral.
Ainsi, quand je
serai perdu dans la mémoire
Des hommes, dans le
coin d'une sinistre armoire
Quand on m'aura
jeté, vieux flacon désolé,
Décrépit, poudreux,
sale, abject, visqueux, fêlé,
Je serai ton
cercueil, aimable pestilence!
Le témoin de ta
force et de ta virulence,
Cher poison préparé
par les anges! Liqueur
Qui me ronge, ô la
vie et la mort de mon cœur!
русский
XLIX
LE POISON
Le vin sait revêtir
le plus sordide bouge
D'un luxe
miraculeux,
Et fait surgir plus
d'un portique fabuleux
Dans l'or de sa
vapeur rouge,
Comme un soleil
couchant dans un ciel nébuleux.
L'opium agrandit ce
qui n'a pas de bornes,
Allonge
l'illimité,
Approfondit le
temps, creuse la volupté,
Et de plaisirs
noirs et mornes
Remplit l'âme au
delà de sa capacité.
Tout cela ne vaut
pas le poison qui découle
De tes yeux, de
tes yeux verts,
Lacs où mon âme
tremble et se voit à l'envers…
Mes songes
viennent en foule
Pour se désaltérer à
ces gouffres amers.
Tout cela ne vaut
pas le terrible prodige
De ta salive qui
mord,
Qui plonge dans
l'oubli mon âme sans remord,
Et, charriant le
vertige,
La roule défaillante
aux rives de la mort!
русский
L
CIEL BROUILLÉ
On dirait ton regard
d'une vapeur couvert;
Ton œil mystérieux
(est-il bleu, gris ou vert?)
Alternativement
tendre, rêveur, cruel,
Réfléchit
l'indolence et la pâleur du ciel.
Tu rappelles ces
jours blancs, tièdes et voilés,
Qui font se fondre
en pleurs les cœurs ensorcelés
Quand, agités d'un
mal inconnu qui les tord,
Les nerfs trop
éveillés raillent l'esprit qui dort.
Tu ressembles
parfois à ces beaux horizons
Qu'allument les
soleils des brumeuses saisons…
Comme tu resplendis,
paysage mouillé
Qu'enflamment les
rayons tombant d'un ciel brouillé!
Ô femme dangereuse,
ô séduisants climats!
Adorerai-je aussi ta
neige et vos frimas,
Et saurai-je tirer
de l'implacable hiver
Des plaisirs plus
aigus que la glace et le fer?
русский
LI
LE CHAT
I
Dans ma cervelle se promène,
Ainsi qu'en son appartement,
Un beau chat, fort, doux et charmant.
Quand il miaule, on l'entend à peine,
Tant son timbre est tendre et discret;
Mais que sa voix s'apaise ou gronde,
Elle est toujours riche et profonde,
C'est là son charme et son secret.
Cette voix, qui perle et qui filtre,
Dans mon fonds le plus ténébreux,
Me remplit comme un vers nombreux
Et me réjouit comme un philtre.
Elle endort les plus cruels maux
Et contient toutes les extases;
Pour dire les plus longues phrases,
Elle n'a pas besoin de mots.
Non, il n'est pas d'archet qui morde
Sur mon cœur, parfait instrument,
Et fasse plus royalement
Chanter sa plus vibrante corde,
Que ta voix, chat mystérieux,
Chat séraphique, chat étrange,
En qui tout est, comme en un ange,
Aussi subtil qu'harmonieux!
II
De sa fourrure blonde et brune
Sort un parfum si doux, qu'un soir
J'en fus embaumé, pour l'avoir
Caressée une fois, rien qu'une.
C'est l'esprit familier du lieu;
Il juge, il préside, il inspire
Toutes choses dans son empire;
Peut-être est-il fée, est-il dieu?
Quand mes yeux, vers ce chat que j'aime
Tirés comme par un aimant,
Se retournent docilement
Et que je regarde en moi-même,
Je vois avec étonnement
Le feu de ses prunelles pâles,
Clairs fanaux, vivantes opales,
Qui me contemplent fixement.
русский
LII
LE BEAU NAVIRE
Je veux te raconter,
ô molle enchanteresse!
Les diverses beautés
qui parent ta jeunesse;
Je veux te peindre
ta beauté,
Où l'enfance s'allie
à la maturité.
Quand tu vas
balayant l'air de ta jupe large,
Tu fais l'effet d'un
beau vaisseau qui prend le large,
Chargé de toile,
et va roulant
Suivant un rythme
doux, et paresseux, et lent.
Sur ton cou large et
rond, sur tes épaules grasses,
Ta tête se pavane
avec d'étranges grâces;
D'un air placide
et triomphant
Tu passes ton
chemin, majestueuse enfant.
Je veux te raconter,
ô molle enchanteresse!
Les diverses beautés
qui parent ta jeunesse;
Je veux te peindre
ta beauté,
Où l'enfance s'allie
à la maturité.
Ta gorge qui
s'avance et qui pousse la moire,
Ta gorge triomphante
est une belle armoire
Dont les panneaux
bombés et clairs
Comme les boucliers
accrochent des éclairs;
Boucliers
provoquants, armés de pointes roses!
Armoire à doux
secrets, pleine de bonnes choses,
De vins, de
parfums, de liqueurs
Qui feraient délirer
les cerveaux et les cœurs!
Quand tu vas
balayant l'air de ta jupe large,
Tu fais l'effet d'un
beau vaisseau qui prend le large,
Chargé de toile,
et va roulant
Suivant un rythme
doux, et paresseux, et lent.
Tes nobles jambes,
sous les volants qu'elles chassent,
Tourmentent les
désirs obscurs et les agacent,
Comme deux
sorcières qui font
Tourner un philtre noir
dans un vase profond.
Tes bras, qui se
joueraient des précoces hercules,
Sont des boas
luisants les solides émules,
Faits pour serrer
obstinément,
Comme pour
l'imprimer dans ton cœur, ton amant.
Sur ton cou large et
rond, sur tes épaules grasses,
Ta tête se pavane
avec d'étrange grâces;
D'un air placide
et triomphant
Tu passes ton
chemin, majestueuse enfant.
русский
LIII
L'INVITATION AU VOYAGE
Mon enfant, ma
sœur,
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre
ensemble!
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te
ressemble!
Les soleils
mouillés
De ces ciels
brouillés
Pour mon esprit ont
les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres
yeux,
Brillant à travers
leurs larmes.
Là, tout n'est
qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et
volupté.
Des meubles
luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre
chambre;
Les plus rares
fleurs
Mêlant leurs
odeurs
Aux vagues senteurs
de l'ambre,
Les riches
plafonds,
Les miroirs
profonds,
La splendeur
orientale,
Tout y parlerait
À l'âme en secret
Sa douce langue
natale.
Là, tout n'est
qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et
volupté.
Vois sur ces
canaux
Dormir ces
vaisseaux
Dont l'humeur est
vagabonde;
C'est pour
assouvir
Ton moindre désir
Qu'ils viennent du
bout du monde.
– Les soleils
couchants
Revêtent les
champs,
Les canaux, la ville
entière,
D'hyacinthe et
d'or;
Le monde s'endort
Dans une chaude
lumière.
Là, tout n'est
qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et
volupté.
русский
LIV
L'IRRÉPARABLE
Pouvons-nous
étouffer le vieux, le long Remords,
Qui vit, s'agite
et se tortille,
Et se nourrit de
nous comme le ver des morts,
Comme du chêne la
chenille?
Pouvons-nous
étouffer l'implacable Remords?
Dans quel philtre,
dans quel vin, dans quelle tisane,
Noierons-nous ce
vieil ennemi,
Destructeur et
gourmand comme la courtisane,
Patient comme la
fourmi?
Dans quel
philtre? – dans quel vin? – dans quelle tisane?
Dis-le, belle
sorcière, oh! Dis, si tu le sais,
À cet esprit
comblé d'angoisse
Et pareil au mourant
qu'écrasent les blessés,
Que le sabot du
cheval froisse,
Dis-le, belle
sorcière, oh! dis, si tu le sais,
À cet agonisant que
le loup déjà flaire
Et que surveille
le corbeau,
À ce soldat brisé!
S'il faut qu'il désespère
D'avoir sa croix
et son tombeau;
Ce pauvre agonisant
que déjà le loup flaire!
Peut-on illuminer un
ciel bourbeux et noir?
Peut-on déchirer
des ténèbres
Plus denses que la
poix, sans matin et sans soir,
Sans astres, sans
éclairs funèbres?
Peut-on illuminer un
ciel bourbeux et noir?
L'espérance qui brille
aux carreaux de l'Auberge
Est soufflée, est
morte à jamais!
Sans lune et sans
rayons, trouver où l'on héberge
Les martyrs d'un
chemin mauvais!
Le Diable a tout
éteint aux carreaux de l'auberge!
Adorable sorcière,
aimes-tu les damnés?
Dis, connais-tu
l'irrémissible?
Connais-tu le
Remords, aux traits empoisonnés,
À qui notre cœur
sert de cible?
Adorable sorcière,
aimes-tu les damnés?
L'Irréparable ronge
avec sa dent maudite
Notre âme, piteux
monument,
Et souvent il
attaque, ainsi que le termite,
Par la base le
bâtiment.
L'Irréparable ronge
avec sa dent maudite!
– J'ai vu
parfois, au fond d'un théâtre banal
Qu'enflammait
l'orchestre sonore,
Une fée allumer dans
un ciel infernal
Une miraculeuse
aurore;
J'ai vu parfois au
fond d'un théâtre banal
Un être, qui n'était
que lumière, or et gaze,
Terrasser
l'énorme Satan;
Mais mon cœur, que
jamais ne visite l'extase,
Est un théâtre où
l'on attend
Toujours, toujours
en vain, l'Être aux ailes de gaze!
русский
LV
CAUSERIE
Vous êtes un beau
ciel d'automne, clair et rose!
Mais la tristesse en
moi monte comme la mer,
Et laisse, en
refluant, sur ma lèvre morose
Le souvenir cuisant
de son limon amer.
– Ta main se
glisse en vain sur mon sein qui se pâme;
Ce qu'elle cherche,
amie, est un lieu saccagé
Par la griffe et la
dent féroce de la femme.
Ne cherchez plus mon
cœur; les bêtes l'ont mangé.
Mon cœur est un
palais flétri par la cohue;
On s'y soûle, on s'y
tue, on s'y prend aux cheveux!
– Un parfum
nage autour de votre gorge nue!…
Ô Beauté, dur fléau
des âmes, tu le veux!
Avec tes yeux de
feu, brillants comme des fêtes,
Calcine ces lambeaux
qu'ont épargnés les bêtes!
русский
LVI
CHANT D'AUTOMNE
I
Bientôt nous plongerons dans les froides
ténèbres;
Adieu, vive clarté de nos étés trop courts!
J'entends déjà tomber avec des chocs funèbres
Le bois retentissant sur le pavé des cours.
Tout l'hiver va rentrer dans mon être: colère,
Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé,
Et, comme le soleil dans son enfer polaire,
Mon cœur ne sera plus qu'un bloc rouge et
glacé.
J'écoute en frémissant chaque bûche qui tombe;
L'échafaud qu'on bâtit n'a pas d'écho plus
sourd.
Mon esprit est pareil à la tour qui succombe
Sous les coups du bélier infatigable et lourd.
Il me semble, bercé par ce choc monotone,
Qu'on cloue en grande hâte un cercueil quelque
part.
Pour qui? – c'était hier l'été; voici
l'automne!
Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.
II
J'aime de vos longs yeux la lumière verdâtre,
Douce beauté, mais tout aujourd'hui m'est
amer,
Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni
l'âtre,
Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.
Et pourtant aimez-moi, tendre cœur! Soyez mère
Même pour un ingrat, même pour un méchant;
Amante ou sœur, soyez la douceur éphémère
D'un glorieux automne ou d'un soleil couchant.
Courte tâche! La tombe attend; elle est avide!
Ah! Laissez-moi, mon front posé sur vos
genoux,
Goûter, en regrettant l'été blanc et torride,
De l'arrière-saison le rayon jaune et doux!
русский
LVII
À UNE MADONE
EX-VOTO DANS
LE GOÛT ESPAGNOL
Je veux bâtir pour
toi, Madone, ma maîtresse,
Un autel souterrain
au fond de ma détresse,
Et creuser dans le
coin le plus noir de mon cœur,
Loin du désir
mondain et du regard moqueur,
Une niche, d'azur et
d'or tout émaillée,
Où tu te dresseras,
Statue émerveillée.
Avec mes Vers polis,
treillis d'un pur métal
Savamment constellé
de rimes de cristal,
Je ferai pour ta
tête une énorme Couronne;
Et dans ma Jalousie,
ô mortelle Madone,
Je saurai te tailler
un Manteau, de façon
Barbare, roide et
lourd, et doublé de soupçon,
Qui, comme une
guérite, enfermera tes charmes;
Non de Perles brodé,
mais de toutes mes Larmes!
Ta Robe, ce sera mon
Désir, frémissant,
Onduleux, mon Désir
qui monte et qui descend,
Aux pointes se
balance, aux vallons se repose,
Et revêt d'un baiser
tout ton corps blanc et rose.
Je te ferai de mon
Respect de beaux Souliers
De satin, par tes
pieds divins humiliés,
Qui, les
emprisonnant dans une molle étreinte,
Comme un moule
fidèle en garderont l'empreinte.
Si je ne puis,
malgré tout mon art diligent,
Pour Marchepied
tailler une Lune d'argent,
Je mettrai le
Serpent qui me mord les entrailles
Sous tes talons,
afin que tu foules et railles,
Reine victorieuse et
féconde en rachats,
Ce monstre tout
gonflé de haine et de crachats.
Tu verras mes Pensers,
rangés comme les Cierges
Devant l'autel
fleuri de la Reine des Vierges,
Étoilant de reflets
le plafond peint en bleu,
Te regarder toujours
avec des yeux de feu;
Et comme tout en moi
te chérit et t'admire,
Tout se fera
Benjoin, Encens, Oliban, Myrrhe,
Et sans cesse vers
toi, sommet blanc et neigeux,
En Vapeurs montera
mon Esprit orageux.
Enfin, pour
compléter ton rôle de Marie,
Et pour mêler
l'amour avec la barbarie,
Volupté noire! Des
sept Péchés capitaux,
Bourreau plein de
remords, je ferai sept couteaux
Bien affilés, et
comme un jongleur insensible,
Prenant le plus
profond de ton amour pour cible,
Je les planterai
tous dans ton Cœur pantelant,
Dans ton Cœur
sanglotant, dans ton Cœur ruisselant!
русский
LVIII
CHANSON D'APRÈS-MIDI
Quoique tes sourcils
méchants
Te donnent un air
étrange
Qui n'est pas celui
d'un ange,
Sorcière aux yeux
alléchants,
Je t'adore, ô ma
frivole,
Ma terrible passion!
Avec la dévotion
Du prêtre pour son
idole.
Le désert et la
forêt
Embaument tes
tresses rudes,
Ta tête a les
attitudes
De l'énigme et du
secret.
Sur ta chair le
parfum rôde
Comme autour d'un
encensoir;
Tu charmes comme le
soir,
Nymphe ténébreuse et
chaude.
Ah! Les philtres les
plus forts
Ne valent pas ta
paresse,
Et tu connais la
caresse
Qui fait revivre les
morts!
Tes hanches sont
amoureuses
De ton dos et de tes
seins,
Et tu ravis les
coussins
Par tes poses
langoureuses.
Quelquefois, pour
apaiser
Ta rage mystérieuse,
Tu prodigues,
sérieuse,
La morsure et le
baiser;
Tu me déchires, ma
brune,
Avec un rire moqueur,
Et puis tu mets sur
mon cœur
Ton œil doux comme
la lune.
Sous tes souliers de
satin,
Sous tes charmants
pieds de soie,
Moi, je mets ma
grande joie,
Mon génie et mon
destin,
Mon âme par toi
guérie,
Par toi, lumière et
couleur!
Explosion de chaleur
Dans ma noire
Sibérie!
русский
LIX
SISINA
Imaginez Diane en
galant équipage,
Parcourant les
forêts ou battant les halliers,
Cheveux et gorge au
vent, s'enivrant de tapage,
Superbe et défiant
les meilleurs cavaliers!
Avez-vous vu
Théroigne, amante du carnage,
Excitant à l'assaut
un peuple sans souliers,
La joue et œil en
feu, jouant son personnage,
Et montant, sabre au
poing, les royaux escaliers?
Telle la Sisina!
Mais la douce guerrière
À l'âme charitable
autant que meurtrière;
Son courage, affolé
de poudre et de tambours,
Devant les
suppliants sait mettre bas les armes,
Et son cœur, ravagé
par la flamme, a toujours,
Pour qui s'en montre
digne, un réservoir de larmes.
русский
LX
FRANCISCÆ MEÆ LAUDES
Novis te cantabo
chordis,
O novelletum quod
ludis
In solitudine
cordis.
Esto sertis
implicata,
O femina delicata
Per quam solvuntur
peccata!
Sicut beneficum
Lethe,
Hauriam oscula de
te,
Quae imbuta es
magnete.
Quum vitiorum
tempestas
Turbabat omnes
semitas,
Apparuisti, Deitas,
Velut stella
salutaris
In naufragiis
amaris…
Suspendam cor tuis
aris!
Piscina plena
virtutis,
Fons aeternae
juventutis,
Labris vocem redde
mutis!
Quod erat spurcum,
cremasti;
Quod rudius,
exaequasti;
Quod debile,
confirmasti.
In fame mea taberna,
In nocte mea
lucerna,
Recte me semper
guberna.
Adde nunc vires
viribus,
Dulce balneum
suavibus
Unguentatum
odoribus!
Meos circa lumbos
mica,
O castitatis lorica,
Aqua tincta
seraphica;
Patera gemmis
corusca,
Panis salsus, mollis
esca,
Divinum vinum,
Francisca!
русский
LXI
À UNE DAME CRÉOLE
Au pays parfumé que
le soleil caresse,
J'ai connu, sous un
dais d'arbres tout empourprés
Et de palmiers d'où
pleut sur les yeux la paresse,
Une dame créole aux
charmes ignorés.
Son teint est pâle
et chaud; la brune enchanteresse
A dans le cou des
airs noblement maniérés;
Grande et svelte en
marchant comme une chasseresse,
Son sourire est
tranquille et ses yeux assurés.
Si vous alliez,
Madame, au vrai pays de gloire,
Sur les bords de la
Seine ou de la verte Loire,
Belle digne d'orner
les antiques manoirs,
Vous feriez, à
l'abri des ombreuses retraites,
Germer mille sonnets
dans le cœur des poètes,
Que vos grands yeux
rendraient plus soumis que vos Noirs.
русский
LXII
MŒSTA ET ERRABUNDA
Dis-moi, ton cœur
parfois s'envole-t-il, Agathe,
Loin du noir océan
de l'immonde cité,
Vers un autre océan
où la splendeur éclate,
Bleu, clair,
profond, ainsi que la virginité?
Dis-moi, ton cœur
parfois s'envole-t-il, Agathe?
La mer, la vaste
mer, console nos labeurs!
Quel démon a doté la
mer, rauque chanteuse
Qu'accompagne
l'immense orgue des vents grondeurs,
De cette fonction
sublime de berceuse?
La mer, la vaste
mer, console nos labeurs!
Emporte-moi, wagon!
Enlève-moi, frégate!
Loin! Loin! Ici la
boue est faite de nos pleurs!
– Est-il vrai
que parfois le triste cœur d'Agathe
Dise: Loin des
remords, des crimes, des douleurs,
Emporte-moi, wagon,
enlève-moi, frégate?
Comme vous êtes
loin, paradis parfumé,
Où sous un clair
azur tout n'est qu'amour et joie,
Où tout ce que l'on
aime est digne d'être aimé,
Où dans la volupté
pure le cœur se noie!
Comme vous êtes
loin, paradis parfumé!
Mais le vert paradis
des amours enfantines,
Les courses, les
chansons, les baisers, les bouquets,
Les violons vibrant
derrière les collines,
Avec les brocs de
vin, le soir, dans les bosquets,
– Mais le vert
paradis des amours enfantines,
L'innocent paradis,
plein de plaisirs furtifs,
Est-il déjà plus
loin que l'Inde et que la Chine?
Peut-on le rappeler
avec des cris plaintifs,
Et l'animer encor
d'une voix argentine,
L'innocent paradis
plein de plaisirs furtifs?
русский
LXIII
LE REVENANT
Comme les anges à
l'œil fauve,
Je reviendrai dans
ton alcôve
Et vers toi
glisserai sans bruit
Avec les ombres de
la nuit;
Et je te donnerai,
ma brune,
Des baisers froids
comme la lune
Et des caresses de
serpent
Autour d'une fosse
rampant.
Quand viendra le
matin livide,
Tu trouveras ma
place vide,
Où jusqu'au soir il
fera froid.
Comme d'autres par
la tendresse,
Sur ta vie et sur ta
jeunesse,
Moi, je veux régner
par l'effroi.
русский
LXIV
SONNET D'AUTOMNE
Ils me disent, tes
yeux, clairs comme le cristal:
"Pour toi,
bizarre amant, quel est donc mon mérite?"
– Sois
charmante et tais-toi! Mon cœur, que tout irrite,
Excepté la candeur
de l'antique animal,
Ne veut pas te
montrer son secret infernal,
Berceuse dont la
main aux longs sommeils m'invite,
Ni sa noire légende
avec la flamme écrite.
Je hais la passion
et l'esprit me fait mal!
Aimons-nous
doucement. L'Amour dans sa guérite,
Ténébreux, embusqué,
bande son arc fatal.
Je connais les
engins de son vieil arsenal:
Crime, horreur et
folie! – Ô pâle marguerite!
Comme moi n'es-tu
pas un soleil automnal,
Ô ma si blanche, ô
ma si froide Marguerite?
русский
LXV
TRISTESSES DE LA LUNE
Ce soir, la lune
rêve avec plus de paresse;
Ainsi qu'une beauté,
sur de nombreux coussins,
Qui d'une main
distraite et légère caresse
Avant de s'endormir
le contour de ses seins,
Sur le dos satiné
des molles avalanches,
Mourante, elle se
livre aux longues pâmoisons,
Et promène ses yeux
sur les visions blanches
Qui montent dans
l'azur comme des floraisons.
Quand parfois sur ce
globe, en sa langueur oisive,
Elle laisse filer
une larme furtive,
Un poète pieux,
ennemi du sommeil,
Dans le creux de sa
main prend cette larme pâle,
Aux reflets irisés
comme un fragment d'opale,
Et la met dans son
cœur loin des yeux du soleil.
русский
LXVI
LES CHATS
Les amoureux
fervents et les savants austères
Aiment également,
dans leur mûre saison,
Les chats puissants
et doux, orgueil de la maison,
Qui comme eux sont
frileux et comme eux sédentaires.
Amis de la science
et de la volupté,
Ils cherchent le
silence et l'horreur des ténèbres;
L'Érèbe les eût pris
pour ses coursiers funèbres,
S'ils pouvaient au
servage incliner leur fierté.
Ils prennent en
songeant les nobles attitudes
Des grands sphinx
allongés au fond des solitudes,
Qui semblent
s'endormir dans un rêve sans fin;
Leurs reins féconds
sont pleins d'étincelles magiques,
Et des parcelles
d'or, ainsi qu'un sable fin,
Étoilent vaguement
leurs prunelles mystiques.
русский
LXVII
LES HIBOUX
Sous les ifs noirs
qui les abritent,
Les hiboux se
tiennent rangés,
Ainsi que des dieux
étrangers,
Dardant leur œil
rouge. Ils méditent.
Sans remuer ils se
tiendront
Jusqu'à l'heure
mélancolique
Où, poussant le
soleil oblique,
Les ténèbres s'établiront.
Leur attitude au
sage enseigne
Qu'il faut en ce
monde qu'il craigne
Le tumulte et le
mouvement;
L'homme ivre d'une
ombre qui passe
Porte toujours le
châtiment
D'avoir voulu
changer de place.
русский
LXVIII
LA PIPE
Je suis la pipe d'un
auteur;
On voit, à
contempler ma mine
D'Abyssinienne ou de
Cafrine,
Que mon maître est
un grand fumeur.
Quand il est comblé
de douleur,
Je fume comme la
chaumine
Où se prépare la
cuisine
Pour le retour du
laboureur.
J'enlace et je berce
son âme
Dans le réseau
mobile et bleu
Qui monte de ma
bouche en feu,
Et je roule un
puissant dictame
Qui charme son cœur
et guérit
De ses fatigues son
esprit.
русский
LXIX
LA MUSIQUE
La musique souvent
me prend comme une mer!
Vers ma pâle
étoile,
Sous un plafond de
brume ou dans un vaste éther,
Je mets à la
voile;
La poitrine en avant
et les poumons gonflés
Comme de la
toile,
J'escalade le dos
des flots amoncelés
Que la nuit me
voile;
Je sens vibrer en
moi toutes les passions
D'un vaisseau qui
souffre;
Le bon vent, la
tempête et ses convulsions
Sur l'immense
gouffre
Me bercent. D'autres
fois, calme plat, grand miroir
De mon désespoir!
русский
LXX
SÉPULTURE
Si par une nuit
lourde et sombre
Un bon chrétien, par
charité,
Derrière quelque
vieux décombre
Enterre votre corps
vanté,
À l'heure où les
chastes étoiles
Ferment leurs yeux
appesantis,
L'araignée y fera
ses toiles,
Et la vipère ses
petits;
Vous entendrez toute
l'année
Sur votre tête
condamnée
Les cris lamentables
des loups
Et des sorcières faméliques,
Les ébats des
vieillards lubriques
Et les complots des
noirs filous.
русский
LXXI
UNE GRAVURE FANTASTIQUE
Ce spectre singulier
n'a pour toute toilette,
Grotesquement campé
sur son front de squelette,
Qu'un diadème
affreux sentant le carnaval.
Sans éperons, sans
fouet, il essouffle un cheval,
Fantôme comme lui,
rosse apocalyptique,
Qui bave des naseaux
comme un épileptique.
Au travers de
l'espace ils s'enfoncent tous deux,
Et foulent l'infini
d'un sabot hasardeux.
Le cavalier promène
un sabre qui flamboie
Sur les foules sans
nom que sa monture broie,
Et parcourt, comme
un prince inspectant sa maison,
Le cimetière immense
et froid, sans horizon,
Où gisent, aux
lueurs d'un soleil blanc et terne,
Les peuples de
l'histoire ancienne et moderne.
русский
LXXII
LE MORT JOYEUX
Dans une terre
grasse et pleine d'escargots
Je veux creuser
moi-même une fosse profonde,
Où je puisse à
loisir étaler mes vieux os
Et dormir dans
l'oubli comme une requin dans l'onde.
Je hais les
testaments et je hais les tombeaux;
Plutôt que
d'implorer une larme du monde,
Vivant, j'aimerais
mieux inviter les corbeaux
À saigner tous les
bouts de ma carcasse immonde.
Ô vers! Noirs
compagnons sans oreille et sans yeux,
Voyez venir à vous
un mort libre et joyeux;
Philosophes viveurs,
fils de la pourriture,
À travers ma ruine
allez donc sans remords,
Et dites-moi s'il
est encor quelque torture
Pour ce vieux corps
sans âme et mort parmi les morts!
русский
LXXIII
LE TONNEAU DE LA HAINE
La Haine est le
tonneau des pâles Danaïdes;
La Vengeance éperdue
aux bras rouges et forts
A beau précipiter
dans ses ténèbres vides
De grands seaux
pleins du sang et des larmes des morts,
Le Démon fait des
trous secrets à ces abîmes,
Par où fuiraient
mille ans de sueurs et d'efforts,
Quand même elle
saurait ranimer ses victimes,
Et pour les
pressurer ressusciter leurs corps.
La Haine est un
ivrogne au fond d'une taverne,
Qui sent toujours la
soif naître de la liqueur
Et se multiplier
comme l'hydre de Lerne.
– Mais les
buveurs heureux connaissent leur vainqueur,
Et la Haine est
vouée à ce sort lamentable
De ne pouvoir jamais
s'endormir sous la table.
русский
LXXIV
LA CLOCHE FÊLÉE
Il est amer et doux,
pendant les nuits d'hiver,
D'écouter, près du
feu qui palpite et qui fume,
Les souvenirs
lointains lentement s'élever
Au bruit des
carillons qui chantent dans la brume.
Bienheureuse la
cloche au gosier vigoureux
Qui, malgré sa
vieillesse, alerte et bien portante,
Jette fidèlement son
cri religieux,
Ainsi qu'un vieux
soldat qui veille sous la tente!
Moi, mon âme est
fêlée, et lorsqu'en ses ennuis
Elle veut de ses
chants peupler l'air froid des nuits,
Il arrive souvent
que sa voix affaiblie
Semble le râle épais
d'un blessé qu'on oublie
Au bord d'un lac de
sang, sous un grand tas de morts,
Et qui meurt, sans
bouger, dans d'immenses efforts.
русский
LXXV
SPLEEN
Pluviôse, irrité
contre la ville entière,
De son urne à grands
flots verse un froid ténébreux
Aux pâles habitants
du voisin cimetière
Et la mortalité sur
les faubourgs brumeux.
Mon chat sur le
carreau cherchant une litière
Agite sans repos son
corps maigre et galeux;
L'âme d'un vieux
poète erre dans la gouttière
Avec la triste voix
d'un fantôme frileux.
Le bourdon se
lamente, et la bûche enfumée
Accompagne en
fausset la pendule enrhumée,
Cependant qu'en un
jeu plein de sales parfums,
Héritage fatal d'une
vieille hydropique,
Le beau valet de
cœur et la dame de pique
Causent sinistrement
de leurs amours défunts.
русский
LXXVI
SPLEEN
J'ai plus de
souvenirs que si j'avais mille ans.
Un gros meuble à
tiroirs encombré de bilans,
De vers, de billets
doux, de procès, de romances,
Avec de lourds
cheveux roulés dans des quittances,
Cache moins de
secrets que mon triste cerveau.
C'est une pyramide,
un immense caveau,
Qui contient plus de
morts que la fosse commune.
– Je suis un
cimetière abhorré de la lune,
Où comme des remords
se traînent de longs vers
Qui s'acharnent
toujours sur mes morts les plus chers.
Je suis un vieux
boudoir plein de roses fanées,
Où gît tout un
fouillis de modes surannées,
Où les pastels
plaintifs et les pâles Boucher,
Seuls, respirent
l'odeur d'un flacon débouché.
Rien n'égale en
longueur les boiteuses journées,
Quand sous les
lourds flocons des neigeuses années
L'ennui, fruit de la
morne incuriosité,
Prend les
proportions de l'immortalité.
– Désormais tu
n'es plus, ô matière vivante!
Qu'un granit entouré
d'une vague épouvante,
Assoupi dans le fond
d'un Saharah brumeux;
Un vieux sphinx
ignoré du monde insoucieux,
Oublié sur la carte,
et dont l'humeur farouche
Ne chante qu'aux
rayons du soleil qui se couche.
русский
LXXVII
SPLEEN
Je suis comme le roi
d'un pays pluvieux,
Riche, mais
impuissant, jeune et pourtant très-vieux,
Qui, de ses
précepteurs méprisant les courbettes,
S'ennuie avec ses
chiens comme avec d'autres bêtes.
Rien ne peut
l'égayer, ni gibier, ni faucon,
Ni son peuple
mourant en face du balcon.
Du bouffon favori la
grotesque ballade
Ne distrait plus le
front de ce cruel malade;
Son lit fleurdelisé
se transforme en tombeau,
Et les dames
d'atour, pour qui tout prince est beau,
Ne savent plus
trouver d'impudique toilette
Pour tirer un souris
de ce jeune squelette.
Le savant qui lui
fait de l'or n'a jamais pu
De son être extirper
l'élément corrompu,
Et dans ces bains de
sang qui des Romains nous viennent,
Et dont sur leurs
vieux jours les puissants se souviennent,
Il n'a su réchauffer
ce cadavre hébété
Où coule au lieu de
sang l'eau verte du Léthé.
русский
LXXVIII
SPLEEN
Quand le ciel bas et
lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit
gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon
embrassant tout le cercle
Il nous verse un
jour noir plus triste que les nuits;
Quand la terre est
changée en un cachot humide,
Où l'Espérance,
comme une chauve-souris,
S'en va battant les
murs de son aile timide
Et se cognant la
tête à des plafonds pourris;
Quand la pluie
étalant ses immenses traînées,
D'une vaste prison
imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet
d'infâmes araignées
Vient tendre ses
filets au fond de nos cerveaux,
Des cloches tout à
coup sautent avec furie
Et lancent vers le
ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des
esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à
geindre opiniâtrement.
– Et de longs
corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement
dans mon âme; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et
l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne
incliné plante son drapeau noir.
русский
LXXIX
OBSESSION
Grands bois, vous
m'effrayez comme des cathédrales;
Vous hurlez comme
l'orgue; et dans nos cœurs maudits,
Chambres d'éternel
deuil où vibrent de vieux râles,
Répondent les échos
de vos De profundis.
Je te hais, Océan!
Tes bonds et tes tumultes,
Mon esprit les
retrouve en lui; ce rire amer
De l'homme vaincu,
plein de sanglots et d'insultes,
Je l'entends dans le
rire énorme de la mer.
Comme tu me
plairais, ô nuit! Sans ces étoiles
Dont la lumière
parle un langage connu!
Car je cherche le
vide, et le noir, et le nu!
Mais les ténèbres
sont elles-mêmes des toiles
Où vivent,
jaillissant de mon œil par milliers,
Des êtres disparus
aux regards familiers.
русский
LXXX
LE GOÛT DU NÉANT
Morne esprit,
autrefois amoureux de la lutte,
L'espoir, dont
l'éperon attisait ton ardeur,
Ne veut plus
t'enfourcher! Couche-toi sans pudeur,
Vieux cheval dont le
pied à chaque obstacle bute.
Résigne-toi, mon
cœur; dors ton sommeil de brute.
Esprit vaincu,
fourbu! Pour toi, vieux maraudeur,
L'amour n'a plus de
goût, non plus que la dispute;
Adieu donc, chants
du cuivre et soupirs de la flûte!
Plaisirs, ne tentez
plus un cœur sombre et boudeur!
Le Printemps
adorable a perdu son odeur!
Et le Temps
m'engloutit minute par minute,
Comme la neige
immense un corps pris de roideur;
Je contemple d'en
haut le globe en sa rondeur
Et je n'y cherche
plus l'abri d'une cahute.
Avalanche, veux-tu
m'emporter dans ta chute?
русский
LXXXI
ALCHIMIE DE LA DOULEUR
L'un t'éclaire avec
son ardeur,
L'autre en toi met
son deuil, Nature!
Ce qui dit à l'un:
Sépulture!
Dit à l'autre: Vie
et splendeur!
Hermès inconnu qui
m'assistes
Et qui toujours
m'intimidas,
Tu me rends l'égal
de Midas,
Le plus triste des
alchimistes;
Par toi je change
l'or en fer
Et le paradis en
enfer;
Dans le suaire des
nuages
Je découvre un
cadavre cher,
Et sur les célestes
rivages
Je bâtis de grands
sarcophages.
русский
LXXXII
HORREUR SYMPATHIQUE
De ce ciel bizarre
et livide,
Tourmenté comme ton
destin,
Quels pensers dans
ton âme vide
Descendent? Réponds,
libertin.
– Insatiablement
avide
De l'obscur et de
l'incertain,
Je ne geindrai pas
comme Ovide
Chassé du paradis
latin.
Cieux déchirés comme
des grèves,
En vous se mire mon
orgueil;
Vos vastes nuages en
deuil
Sont les corbillards
de mes rêves,
Et vos lueurs sont
le reflet
De l'Enfer où mon
cœur se plaît.
русский
LXXXIII
L'HÉAUTONTIMOROUMÉNOS
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