LES FLEURS
DU MAL
Au
poëte impeccable
Au
parfait magicien ès lettres françaises
À
mon très-cher et très-vénéré
Maître
et ami
THÉOPHILE
GAUTIER
Avec
les sentiments
De
la plus profonde humilité
Je
dédie
CES
FLEURS MALADIVES
C.
B.
AU LECTEUR
La sottise,
l'erreur, le péché, la lésine,
Occupent nos esprits
et travaillent nos corps,
Et nous alimentons
nos aimables remords,
Comme les mendiants
nourrissent leur vermine.
Nos péchés sont têtus,
nos repentirs sont lâches;
Nous nous faisons
payer grassement nos aveux,
Et nous rentrons
gaiement dans le chemin bourbeux,
Croyant par de vils
pleurs laver toutes nos taches.
Sur l'oreiller du
mal c'est Satan Trismégiste
Qui berce longuement
notre esprit enchanté,
Et le riche métal de
notre volonté
Est tout vaporisé
par ce savant chimiste.
C'est le diable qui
tient les fils qui nous remuent!
Aux objets
répugnants nous trouvons des appas;
Chaque jour vers
l'enfer nous descendons d'un pas,
Sans horreur, à
travers des ténèbres qui puent.
Ainsi qu'un débauché
pauvre qui baise et mange
Le sein martyrisé
d'une antique catin,
Nous volons au
passage un plaisir clandestin
Que nous pressons
bien fort comme une vieille orange.
Serré, fourmillant,
comme un million d'helminthes,
Dans nos cerveaux
ribote un peuple de démons,
Et, quand nous
respirons, la mort dans nos poumons
Descend, fleuve
invisible, avec de sourdes plaintes.
Si le viol, le
poison, le poignard, l'incendie,
N'ont pas encor
brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de
nos piteux destins,
C'est que notre âme,
hélas! N'est pas assez hardie.
Mais parmi les
chacals, les panthères, les lices,
Les singes, les
scorpions, les vautours, les serpents,
Les monstres
glapissants, hurlants, grognants, rampants,
Dans la ménagerie
infâme de nos vices,
Il en est un plus
laid, plus méchant, plus immonde!
Quoiqu'il ne pousse
ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers
de la terre un débris
Et dans un
bâillement avalerait le monde;
C'est l'ennui! –
l'œil chargé d'un pleur involontaire,
Il rêve d'échafauds
en fumant son houka.
Tu le connais,
lecteur, ce monstre délicat,
Hypocrite
lecteur, – mon semblable, – mon frère!
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